Lewis et Clark : une épopée cartographique à travers l’Ouest américain

Lewis et Clark : une épopée cartographique à travers l’Ouest américain

Bien plus qu’un simple exercice de cartographie, l’expédition de Lewis et Clark transforma une immensité encore inconnue en un espace représentable. L’achat de la Louisiane par les États-Unis en 1803 avait soudainement agrandi le territoire américain, mais celui-ci restait mal défini. Thomas Jefferson confia donc à Meriwether Lewis et William Clark une mission à la fois scientifique, diplomatique et stratégique : remonter le Missouri, franchir les Rocheuses, atteindre l’océan Pacifique, puis revenir avec des observations précises sur la géographie, les peuples, la faune et la flore. Entre 1804 et 1806, le Corps of Discovery donna aux États-Unis la première vision claire de ces terres et posa les bases de leur conquête.

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L’expédition de Lewis et Clark

Une troupe réduite, un mandat immense

Au départ, l’expédition rassemble environ 40 hommes, soldats et civils confondus, embarqués sur un grand keelboat (bateau à fond plat) et deux pirogues. Tous ne feront pas l’aller-retour jusqu’au Pacifique : une trentaine ira au bout de l’aventure, au fil de remplacements et détachements en cours de route.

Lewis, naturaliste passionné et élève appliqué des meilleurs savants de Philadelphie, forme avec William Clark un duo de tête complémentaire : à Clark reviennent l’orientation, la mesure, la cartographie. L’un observe les astres, l’autre relève les distances et dessine. Ensemble, ils structurent la collecte d’informations dans des carnets rigoureusement tenus, puis harmonisés pendant les hivernages.

Une mission multi-objectifs

Les instructions de Jefferson combinent recherche d’une voie vers le Pacifique, diplomatie avec les peuples autochtones et inventaire scientifique. Il s’agit de noter les confluents, les rapides et les passes, de mesurer la navigabilité d’un réseau hydrographique encore mal compris, mais aussi de décrire les espèces rencontrées et d’évaluer les potentialités commerciales. Cette vocation encyclopédique explique la densité des journaux, des tableaux « course and distance », et des cartes d’étape que Clark met systématiquement au propre.

Rencontres avec les peuples autochtones

De la haute vallée du Missouri au bas Columbia, les explorateurs entrent en contact avec environ 50 tribus ; le tracé historique du Lewis & Clark National Historic Trail traverse aujourd’hui les territoires d’origine de plus de 60 nations. Cette géographie du contact se tisse d’échanges, de dons, de négociations, de services de guides et d’interprètes — à commencer par la fameuse Sacagawea, dont l’appui s’avère décisif pour se procurer des chevaux et franchir les reliefs.

Un inventaire de la nature

Le bilan naturaliste est considérable : au moins 178 plantes et 122 animaux décrits et documentés, des grands mammifères aux essences riveraines, en passant par les oiseaux et poissons. Les observations, croquis et spécimens forment un socle scientifique durable, transmis à Jefferson puis au public au fil des publications.

Lewis et Clark : Cartographier un monde inconnu

Clark, artisan d’une précision rare

William Clark est le véritable cartographe en chef de l’expédition. Sur le fleuve comme à terre, il pratique un savant mélange de dead reckoning (estimation de la position à partir du temps et de la vitesse), de mesures de cap au compas de géomètre, d’estimations de distances, et — lorsque les circonstances le permettent — d’observations astronomiques pour fixer la latitude et, plus incertaine, la longitude. Ce patient labeur, répété jour après jour, produit des cartes étonnamment précises pour l’époque ; on souligne souvent que Clark se trompe d’à peine 40 miles sur la distance totale parcourue entre Camp Dubois et le Pacifique.

Portrait de Williaw Clark

Une fabrique de cartes « sur le terrain »

Sur le terrain, la production cartographique de l’expédition se décline donc en relevés au fil de l’eau, petits croquis dans les journaux, copies de cartes de trappeurs et esquisses amérindiennes, et composites élaborés durant les hivernages. On recense environ 140 cartes réalisées en route et une trentaine obtenues auprès d’Indiens, trappeurs ou marchands. Les instruments transportés, du sextant au chronomètre, structurent une méthode où l’on mesure les azimuts, où l’on estime les distances, et où l’on reporte chaque soir la progression dans des tableaux « course and distance ».

Le rôle des savoirs autochtones

Les savoirs autochtones irriguent les cartes : les informateurs indiquent cols, sources et chemins. On n’hésite pas à reproduire des cartes à main levée, parfois tracées sur le sol ou sur des peaux, puis intégrées dans les relevés de Clark. Cette porosité des sources explique la richesse de la carte finale : elle assemble des mesures occidentales et des connaissances locales, donnant à l’ensemble une densité humaine et géographique singulière.

La carte de 1814 de l'expédition de Lewis et Clark

Une carte de l'expédition à destination des futurs aventuriers

La carte des Etats-Unis « A Map of Lewis and Clark’s Track, Across the Western Portion of North America » paraît en 1814 dans le premier volume du récit officiel. Samuel Lewis, cartographe américain, en copie le tracé d’après l’original de William Clark ; Samuel Harrison le grave. Imprimée à Philadelphie par Bradford and Inskeep, elle recompose l’itinéraire du Mississippi au Pacifique avec une lisibilité nouvelle, en situant correctement les sources du Missouri, les sources de la Columbia et l’échine des Rocheuses — un trio dont la relation spatiale était auparavant mal comprise.

La carte de 1814. Source : David Rumsey Map Collection

Ce que montre la carte… et comment elle le montre

Sur la carte, le fil hydrographique domine : la remontée du Missouri, ses affluents, la cassure des Rocheuses, puis la descente Columbia–Snake jusqu’au Pacifique. Les chaînons montagneux sont figurés, les rapides et grands méandres s’ordonnent, dessinant les contraintes de circulation. Mais l’apport majeur, au-delà du tracé, tient à la densité d’annotations relatives aux tribus indiennes et à leur population. Elle prolonge une pratique observée sur d’autres croquis de l’expédition, où l’on note par exemple chez les Mandan ou les Pawnee des effectifs de maisons et de guerriers transmis par informateurs et voyageurs.

Par sa structure, la carte montre que les Rocheuses apparaissent comme une barrière qui rend illusoire le mythe d’un passage fluvial continu vers le Pacifique. Cette désillusion n’est pas un échec ; elle recalibre la projection américaine : s’il n’existe pas d’« autoroute d’eau », il faudra penser autrement la traversée des reliefs, la logistique, puis l’implantation.

Conclusion

L’expédition de Lewis et Clark fut un moment fondateur de l’histoire américaine. Elle donna une première image cohérente de l’Ouest, révéla la richesse naturelle du territoire et initia un dialogue fragile avec ses habitants. La carte publiée en 1814 symbolise cette réussite. Elle condense en un seul document le tracé de l’expédition, l’hydrographie, les reliefs et la présence humaine. Elle montre un territoire encore sauvage, mais déjà décrit, mesuré et, bientôt, convoité.

Plus qu’un simple outil scientifique, cette carte fut un instrument politique. Elle permit aux États-Unis de planifier leur expansion et ouvrit la voie à la Conquête de l’Ouest. Relue aujourd’hui, elle rappelle combien la cartographie peut transformer un espace inconnu en un territoire à explorer, à comprendre et à s’approprier.

Pour aller plus loin, je vous recommande ces podcasts de Radio France sur l'expédition et la rencontre de Lewis et Clark avec Sacagawea. 

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